Ils arrivent par petites enveloppes dans les entreprises françaises. Les chèques cadeaux de Noël, limités cette année à 193 euros par personne, débarquent sur les bureaux. Mais entre un patron non salarié qui se voit refuser son chèque et une stagiaire qui ne comprend pas pourquoi sa voisine de bureau y a droit, la distribution vire parfois au casse-tête.
« Trois mois que je bosse ici, et on me dit que je suis trop nouvelle », raconte Sarah, en stage dans une boîte de com parisienne. Son patron fait fausse route : la justice vient de trancher. Exit les critères d’ancienneté, tout le monde doit être servi. Les entreprises traînent des pieds, mais elles n’ont pas le choix : d’ici fin 2025, ces règles discriminantes devront disparaître.
La grande loterie des absents
« En arrêt depuis deux mois, j’ai failli rater le coche », témoigne Mathieu, comptable à Lyon. Son CSE a finalement fait marche arrière. Normal : malade ou en vacances, peu importe. Un salarié reste un salarié. L’URSSAF le martèle : impossible de priver quelqu’un de son chèque sous prétexte qu’il n’est pas au bureau.
La galère des patrons
Dans un salon de coiffure du 11e arrondissement de Paris, Julien fait ses comptes. Travailleur non salarié, ses chèques seront amputés des charges sociales. « Je pourrais me verser une prime, ça reviendrait au même », soupire-t-il. Son associée, qui cumule un contrat de travail, échappe à la règle. Deux poids, deux mesures.
La machine est lancée jusqu’au réveillon. Dans les starting-blocks, les grandes enseignes se frottent les mains : elles raflent 90% des 2,3 milliards d’euros de chèques distribués. Le petit commerce, lui, reste sur le carreau.
« Les commissions nous étranglent », peste Laurent, gérant d’une librairie à Nantes. Entre 8 et 12% de frais par transaction, sans compter la paperasse et les délais de remboursement. « Pour encaisser 50 euros, j’attends deux mois et je perds 6 euros. C’est infernal pour une petite boutique. »
Le système avantage mécaniquement les gros. « On nous vend du rêve avec les ventes additionnelles. Mais seules les grosses enseignes peuvent absorber ces coûts », explique un représentant des commerçants.
Des alternatives pointent le bout de leur nez. À Rennes, des chèques spécial centre-ville divisent les commissions par deux. À Bordeaux, une monnaie locale tente sa chance. Mais ces initiatives restent confidentielles.
Les CSE, eux, jouent la sécurité. « Entre La Fnac et le petit libraire du coin, mes collègues préfèrent le choix », admet Caroline, déléguée syndicale. Un cercle vicieux qui pose question : ces chèques, pensés pour booster l’économie locale, ne finissent-ils pas par creuser les inégalités qu’ils devaient combattre ?